« Auroville n’appartient à personne en particulier. Auroville appartient à toute l’humanité dans son ensemble. Mais pour séjourner à Auroville, il faut être le serviteur volontaire de la Conscience Divine. Auroville sera le lieu de l’éducation perpétuelle, du progrès constant, et d’une jeunesse qui ne vieillit point. Auroville veut être le pont entre le passé et l’avenir. Profitant de toutes les découvertes extérieures et intérieures, elle veut hardiment s’élancer vers les réalisations futures. Auroville sera le lieu des recherches matérielles et spirituelles pour donner un corps vivant à une unité humaine concrète »
Telle est la charte d’Auroville écrite par « la Mère », fondatrice du projet. Le 28 février 1968 fut la date de lancement de la création d’Auroville, qu’en est-il aujourd’hui ? J’avais entendu parler d’Auroville en lisant les livres des Sri Aurobindo, ceux de la Mère et de Satprem. Je souhaitais découvrir cet endroit et me faire ma propre idée de ce lieu insolite. J’ai donc séjourné quelques mois sur place.
Auroville se situe dans l’état du Tamil Nadu, au sud de l’Inde, à 8 km de la ville de Puduchery (Pondichery), l’ex colonie française. Il s’agit d’un territoire vaste de 20 km sur 20 km, aménagé selon les plans définis par La Mère. On ne peut pas dire qu’il s’agisse d’une ville à proprement dit. Les aurovilliens (habitants d’Auroville) logent dans des habitations réparties dans différentes communautés, portant des noms surprenants, comme : courage, harmonie, vérité, rêve, aspiration etc. On trouve des bâtiments publics dédiés à la gestion administrative de la ville, des lieux pour les pratiques spirituelles, des bibliothèques, des écoles, des théâtres, des cinémas, des pavillons d’expositions, des boutiques, des restaurants, des boulangeries etc. Tous ces lieux sont éparpillés sur le territoire d’Auroville et relié par des chemins en terre. On a l’impression de vivre dans une immense forêt. Les constructions se fondent dans la végétation ce qui amène un côté très apaisant à l’expérience aurovilienne.
Auroville n’est pas une ville barricadée et coupée du monde mais un territoire composé de plusieurs villages-communautés mélangés aux villages des indigènes tamil. Il faudra par exemple emprunter la route et traverser des villages tamil pour se rendre d’une communauté à une autre. L’absence régulière de panneau d’indication peut facilement nous faire douter sur l’exactitude du chemin à prendre. Au début, on se perd facilement car il est difficile de savoir si l’on se trouve sur un territoire d’Auroville ou non. Les déplacements peuvent se faire à pieds mais les distances entre les communautés peuvent être grandes donc il est préférable d’utiliser des motos, vélos-moteurs ou vélos (disponibles à la location à de nombreux endroits).
2’200 personnes dont 49 nationalités différentes vivent actuellement à Auroville. On croise beaucoup de francophones probablement par ce que la Mère était française et que la ville la plus proche (Pondichery) fût une colonie française (entre le 17e et le 20e siècle). A ce jour, Auroville est une ville dépendante des ressources extérieures et toujours soumise au système monétaire ce qui l’empêche de fonctionner de manière autonome. De plus, elle n’est propriétaire que d’une partie des terrains occupés (une partie reste la propriété du gouvernement Indien). Qui dit dépendance et argent nous ramène forcément à des problématiques que nous connaissons déjà dans notre société, à savoir le pouvoir, le profit, la corruption, la jalousie etc.
En discutant avec les différentes personnes qui habitent à Auroville, je me suis rendu compte que tout n’est pas transparent et que certaines personnes ne respectent pas l’esprit de la communauté et profite de leur statut pour exercer leur pouvoir. Nous pouvons citer l’exemple de deux étudiants indiens que j’ai rencontré à Auroville et qui se plaignaient de leur professeur principal parce que ce dernier avait l’habitude de les renvoyer à leur moindre désobéissance. De plus, ce professeur ne communiquait pas, ne respectait pas les parents des élèves et ne leur distribuait plus les repas journalier alors que cette école d’Auroville a été crée spécialement pour des enfants locaux défavorisés afin de les aider quotidiennement (et non pour leur créer encore plus de problèmes qu’ils en ont). D’origine indienne, le professeur de cette classe est entouré par quelques membres de sa famille qui partagent tous des fonctions stratégiques dans l’administration aurovilienne (probablement qu’ils ont été placés à ces postes par lui). Ainsi, peu d’auroviliens osent agir par peur de représailles (expulsions ou menaces). Bref, le respect, le partage et l’harmonie du vivre ensemble qui représente les valeurs fondatrices de l’esprit de communauté n’est à ce jour pas une réalité à Auroville (dans l’ensemble). Pour l’instant, la charte n’est donc pas complétement respectée.
Quant aux « curieux » qui désirent séjourner à Auroville, ceux-ci peuvent être hébergés dans les guesthouses d’Auroville. Il existe un bon nombre d’hébergements de tout confort éparpillées dans les différentes communautés. Les prix sont relativement plus élevés que dans le reste de l’Inde, d’une part parce que ces logements sont la plupart du temps tenus par des Occidentaux auroviliens et d’autre part parce que le prix d’une nuitée comprend une taxe journalière de séjour propre à Auroville. En général, ce sont des logements de qualité, confortables et situés dans un environnement agréable (ce qui justifie les tarifs appliqués).
La vie économique et sociale de la communauté est très intéressante à découvrir si bien qu’il ne faut pas hésiter à s’aventurer dans les lieux qui constituent ce tissu économique. Les auroviliens ont créer des entreprises qui fabriquent des produits artisanaux d’excellentes qualités qui méritent de s’y attarder (cosmétiques, vêtements, poterie, mobilier, art etc.) Toutes ces productions respectent des valeurs écologistes comme la durabilité, l’économie circulaire, les ressources locales etc. (cet aurovillien espagnole qui à monté son entreprise de teinture naturelle d’habits ou cet hollandais qui a créé sa ferme de spiruline (www.aurospirul.com) sont quelques exemples parmi d’autres). Quelques fermes en permaculture alimentent également les épiceries d’Auroville où l’on peut s’approvisionner de fruits et de légumes frais.
Il existe différents statuts de personnes séjournant et/ou vivant à Auroville. Les visiteurs sont communément appelés des « guest », les futurs aurovilliens des « new commers » et les habitants des « aurovilliens ». Ces statuts permettent de distinguer les droits et les avantages liés à la vie dans les communautés.
En tant que « guest », une bonne partie des lieux et des activités sont accessibles gratuitement, Certains workshop, certaines animations ou représentations culturelles sont toutefois payantes. Le volontariat reste une bonne manière de se familiariser et de découvrir le fonctionnement et les infrastructures d’Auroville. Il existe en effet de nombreuses activités bénévoles qui sont accessibles dans de nombreux domaines d’activités, tels que l’agriculture, la santé, l’artisanat, l’entretien et la maintenance, la construction, etc.
Pour devenir aurovillien, il faut nécessairement passer par les statuts de guest puis new commers. Un comité décide parmi un certain nombre de critères si l’aspirant a la capacité d’obtenir le statut d’aurovillien. Cela peut prendre quelques années et peu dépendre également des ressources financières du demandeur… D’après ce que j’ai entendu, beaucoup de retraités occidentaux cherchent à s’installer à Auroville. Ces gens ont la plupart du temps suffisamment d’argent pour vivre la période de new commers et financer leurs propres logements. Certes, une rente de retraité occidentale permet de mieux vivre en Inde qu’en Europe. Cela-dit, nous pourrions nous demander si une personne retraitée qui a vécue toute une partie de sa vie en Occident serait capable de comprendre l’esprit d’Auroville et à même de participer et de s’investir personnellement à l’amélioration du projet d’Auroville ? Aurait-elle la capacité de s’adapter à ce nouveau mode de vie communautaire ? Difficile d’y répondre mais nous pouvons toutefois espérer que la motivation du comité de sélection des futurs aurovilliens ne soit pas uniquement basée sur l’aspect financier du demandeur mais bien plus sur la motivation de chacun d’évoluer personnellement et de participer activement au projet d’Auroville tout en respectant la charte de la Mère.
Quant aux auroviliens eux-mêmes, j’ai rencontré des personnes imaginatives, souriantes et altruistes qui avaient une réelle intention de vivre l’esprit communautaire dans le partage et l’amour bienveillant. D’autres semblaient plus se rapprocher d’une vie similaire à celle que l’on connaît dans notre société, c’est-à-dire une vie individualiste où l’intérêt individuel primait sur le collectif et où il est question de recherche de profits, d’honneurs et de pouvoir.
En tant qu’aurovillien, il est possible de travailler pour les services de la communauté comme employé ou en créant sa propre entreprise. Un employé touchera un salaire mensuel (une sorte de rente) alors que la personne indépendante devra verser un pourcentage de son revenu à Auroville (une sorte d’impôt). Un aurovillien ne peut posséder de terrain ni de maison, il peut toutefois construire un logement à ses frais (moyennant parfois une contribution de la fondation d’Auroville) sur un terrain qui lui est prêté. Il disposera des droits d’habitation sur ce bien tant qu’il habitera en résidence principale sur le territoire d’Auroville. S’il quitte Auroville, la fondation lui gardera sa propriété pendant une certaine durée (selon ses années passées comme résident à Auroville). Sans nouvelle de sa part et/ou sans un retour sur place, le logement sera attribué à d’autres aurovilliens (soulignons que beaucoup de new commers recherchent des logements pour s’installer définitivement et qu’ils n’ont pas forcément tous les moyens pour se construire une maison à leur frais).
En séjournant à Auroville, on s’attend à ce que les auroviliens aient une pratique spirituelle intense du fait que ce projet est né à partir d’expériences introspectives et mystiques de la Mère influencées par les enseignements de son maître le philosophe Sri Aurobindo (1872-1950). Or, la majorité des auroviliens ne se consacrent pas à une vie spirituelle ni ne pratiquent le yoga intégral proposé par Aurobindo. Chacun est finalement libre de se soucier ou de ne pas se soucier de soi (de son âme). J’ai croisé des auroviliens qui ne portaient aucun intérêt à la vie spirituelle, d’autres qui pratiquaient toutes sortes d’activités allant des thérapies holistiques aux théories du développement personnel et new-age. Auroville n’est pas une communauté dirigée par un guru (dans le sens occidental du terme) qui assujettis ses membres. Nous ne sommes pas dans un système sectaire où l’on impose de manière contraignantes certaines croyances. Je n’ai jamais ressenti cela lors de mon séjour à Auroville.
Au centre d’Auroville se trouve un bâtiment pensé par la Mère (né d’une vision) et nommé le Matrimandir. Ce lieu est dédié à la pratique spirituelle, principalement à la méditation. Il s’agit d’une immense sphère plaquées de tuiles en or et entourée de douze pétales représentant l’éveil de la conscience. A l’intérieur, au sommet de cette sphère, se trouve une pièce immaculée et dédiée à la pratique de la méditation. L’endroit est surprenant : il est bordé de murs en marbre blanc dont le centre de la pièce se distingue par une immense boule de cristal qui reflète la lumière de l’extérieur par un rayon lumineux venant d’une deuxième boule de cristal qui elle se trouve tout au somment de la sphère et qui est en contact direct avec le soleil. On a l’impression d’être à l’intérieur d’un vaisseau spatiale de Star Trek ! Le silence est parfait, l’endroit est spectaculaire. Le jardin extérieur est également magnifique et très reposant. Tout le monde peut se rendre à l’intérieur du Matrimandir en suivant quelques règles au préalable (garder le silence, mettre des chaussettes blanches).
Toutefois et d’après certaines personnes, « spécialistes » des cristaux, l’énergie de la chambre intérieure semble ne plus être aussi bonne qu’auparavant. Le cristal central serait vide d’énergie positive du fait qu’il ne soit pas suffisamment en contact direct avec le soleil et la lune. L’entrée de la lumière serait donc largement insuffisante pour « recharger » cette immense boule de cristal. De plus, la plupart des gens qui visitent ce lieu seraient en demande d’aide ce qui « épuiserait » le cristal. Peu ou alors personne ne le « rechargerait » d’énergies positives… Ce genre de théorie new-age reste à prouver ! Ayant médité dans la chambre intérieure plusieurs fois, j’ai pu ressentir les effets positifs du silence. Ainsi, l’endroit est plutôt agréable pour la pratique de la méditation mais sans plus.
Auroville a certes ses problèmes comme la plupart des communautés. Mais de manière générale, la vie est plutôt agréable et paisible pour un personne qui détient le statut de guest. On retrouve un mélange de personnalités que l’on ne retrouve pas forcément ailleurs (un peu comme en Inde d’ailleurs). Il y a des gens surprenants et audacieux qui n’hésitent pas à remettre en cause leurs manières de vivre, d’autres qui viennent à Auroville pour tenter quelque chose de nouveau (pour développer des projets qui ne seraient pas forcément preneur dans notre société occidental), d’autres qui sont là uniquement parce qu’ils ont trouvés le mode de vie qui leur convenait etc. Ces gens, nous pouvons facilement les rencontrer (une partie d’entre-eux parlent le français) soit en allant vers eux, soit en assistant à des workshops qui sont quelques fois payants ou sur donation et qui permettent de partager des expériences, des connaissances, des philosophies, des savoir-faire etc., quelquefois avec douceur, disponibilité et compassion. A vrai dire, il y a beaucoup de choses à apprendre à Auroville et c’est un endroit relaxant et reposant (surtout lorsque l’on a déjà passé quelques mois dans le chaos de l’Inde). De plus, tout semble possible si l’on est désireux de réaliser un projet qui va dans l’intérêt de toute la communauté. C’est ce que l’on m’a dit et effectivement je l’ai bien ressenti. Il y a probablement moins de barrières administratives et idéologiques que dans notre société pour se lancer dans des projets qui respectent des valeurs telles que l’écologie, le vivre ensemble, la bienveillance, l’inclusivité etc. Reste à voir si l’on peut effectivement réaliser son projet de vie comme on l’entend sans que des aspects financiers, politiques ou dogmatiques viennent le compromettre.